La force des alliances locales : Comment la coopération en Drôme-Ardèche donne corps à l’économie sociale et solidaire
17 octobre 2025
Le printemps solidaire souffle entre Rhône et montagne
S’il y a bien une chose qui caractérise la Drôme et l’Ardèche, ce sont ces liens humains qui se tissent entre vallées, plateaux et villes petites ou grandes. Ici, la solidarité ne relève pas seulement de la tradition ; elle prend de nouvelles formes, audacieuses et collectives, qui bouleversent la manière d’habiter et de développer un territoire. Et ces dernières années, une tendance se dessine nettement : la coopération intercommunale se révèle comme l’un des moteurs essentiels de l’économie sociale et solidaire (ESS). Mais de quoi parle-t-on réellement, et comment cela change-t-il la donne sur le terrain ?
L’intercommunalité, un levier discret mais décisif
En Drôme-Ardèche, plus de 35 communautés de communes et plusieurs agglomérations s’organisent pour mutualiser les énergies et répondre ensemble aux défis économiques, sociaux et écologiques (INSEE, 2023). Côté ESS, ces structures facilitent l’émergence et le développement des projets en créant des écosystèmes favorables : accompagnement à la création d’activités, financement, mutualisation des locaux ou équipements, et animation de réseaux.
- 2 800 structures de l’ESS recensées début 2023 dans Drôme-Ardèche (CRESS Auvergne-Rhône-Alpes)
- Plus de 23 000 emplois concernés : soit environ 11 % de l’emploi total local (source : CRESS AURA, données 2023)
- Une croissance de +6 % du nombre d’entreprises de l’ESS entre 2016 et 2021 (Le Mouvement Associatif, données locales)
Ce contexte dynamisé n’est pas le fruit du hasard : il provient en partie d’un engagement actif des collectivités, qui découvrent peu à peu la force du “faire ensemble”. Entrons concrètement dans ce qui s’invente et s’organise sur le terrain.
Portraits d’initiatives : quand l’interco change la donne sur le quotidien
Les fournisseurs locaux à l’assaut des cantines : une victoire de la coopération
À l’est de Valence, la Communauté de Communes Arche Agglo a mis en place dès 2020 un service mutualisé d’approvisionnement local pour ses cantines scolaires. Objectif : relocaliser et démocratiser l’accès à une alimentation saine, en soutenant les producteurs bio du territoire. En pratique, l’association Sud Grésivaudan en transition orchestre la logistique entre agriculteurs, cantines et collectivités. Résultat : en trois ans, plus de 60 % des légumes servis dans les assiettes des écoles viennent du territoire, avec une réduction du gaspillage alimentaire de 28 % (AURA-EE, 2023).
Fédérer l’habitat partagé grâce au soutien des communautés de communes
À Vernoux-en-Vivarais, la Communauté de Communes du Pays de Vernoux accompagne depuis 2018 la création d’habitats participatifs – des habitations conçues, construites et vécues en collectif, souvent portées par des associations et des coopératives. Ce soutien se traduit par la mise à disposition de terrains moyennant un loyer modéré, le portage d’ateliers participatifs et la facilitation des démarches réglementaires.
- 6 projets d’habitat partagé ont émergé en 5 ans, mobilisant plus de 40 foyers directement impliqués
- Un ancrage social fort, avec l’organisation de services mutualisés : jardins en commun, partage de véhicules, table ouverte hebdomadaire
Ce modèle inspire les communes voisines et contribue à briser l’isolement en milieu rural, favorisant la mixité générationnelle et sociale.
Lutter ensemble contre la précarité énergétique
Après la crise de l’énergie en 2022, la Communauté de Communes Rhône Crussol a fédéré associations, bailleurs sociaux et citoyens pour lancer le dispositif “Energie Solidaire”. Outre des diagnostics gratuits pour le parc locatif social, ce programme a permis l’embauche de 7 conseillers “énergie” issus de l’insertion par l’activité économique, formés localement.
- Plus de 1 200 foyers accompagnés sur deux ans, soit une couverture de 8 % du parc de logements
- Une économie moyenne de 410 € par foyer accompagné en 2023 selon l’ALEC de Valence
- Un partenariat engagé avec le Crédit coopératif pour des micro-financements solidaires aux familles
Quels sont les ressorts de la coopération intercommunale en ESS ?
Pourquoi la coopération intercommunale fait-elle une telle différence en ESS, notamment en Drôme-Ardèche ? Plusieurs ingrédients se conjuguent :
- La capacité à mutualiser les moyens : quand une multitude de petites structures, parfois isolées, accède à des salles, du matériel ou des fonctions support via l’interco, c’est toute une économie qui prend de l’ampleur.
- L’effet réseau : les échanges d’expérience et la visibilité renforcée entre associations, coopératives et entreprises à impact social, dopés par des événements (forums, journées de l’ESS, etc.) pilotés ensemble à l’échelle de plusieurs communes.
- L’accès facilité au financement et à l’innovation : via des fonds européens comme Leader, les intercommunalités peuvent porter collectivement des appels à projets, flécher des budgets et négocier avec des financeurs publics ou privés.
- L’expérimentation et la résilience : développer des réponses collectives à des problématiques partagées – mobilité, accès aux soins, vieillissement – en testant rapidement de nouvelles solutions, solidaires par essence.
Au fond, ce maillage territorial spécifique à la Drôme-Ardèche – caractérisé par un tissu dense de villages actifs, de petites villes reliées par l’histoire de la coopération agricole ou ouvrière – favorise une forme d’innovation sociale “à taille humaine”. Ce que confirme Étienne Cloupé, président de la CRESS AURA (interview : CRESS Auvergne-Rhône-Alpes), « c’est dans la proximité, la réciprocité et le partage que s’ancrent les plus belles réussites de l’ESS, surtout en milieu rural ou semi-urbain. »
Des chiffres qui parlent : l’ESS intercommunale, un pilier dynamique et innovant
Les initiatives ne manquent pas, mais les chiffres illustrent aussi cette vitalité. Drôme et Ardèche figurent régulièrement en tête des territoires les plus actifs en ESS d’Auvergne-Rhône-Alpes :
- +8 % de créations d’entreprises associatives en 2021 par rapport à 2019 (INSEE)
- 38 structures d’insertion par l’activité économique recensées, dont 14 portées intercommunalement (CRESS AURA)
- Un budget annuel de plus de 5,6 M€ consacré par les intercommunalités au soutien direct de l’ESS (accompagnement, subventions, actions mutualisées) – chiffre CRESS 2023
- Des projets à rayonnement régional, comme la plateforme de mobilité solidaire « Moov’RAA » qui irradie sur 11 communautés de communes, facilitant le covoiturage rural
Les défis à relever et les pistes d’avenir
Malgré cette dynamique, la coopération intercommunale rencontre aussi ses limites. Plusieurs défis sont régulièrement cités :
- La pérennité des financements : beaucoup d’initiatives dépendent de dotations ou de fonds temporaires (Leader, Fonds européens, subventions départementales…). Les projets peinent à trouver des relais privés suffisants.
- L’accès à l’information et la lisibilité de l’ESS pour toutes et tous : l’offre abondante gagne à être mieux cartographiée et rendue accessible même aux citoyen·nes encore éloigné·es du secteur social ou associatif.
- L’implication des jeunes et des nouvelles générations : comment attirer, former et donner envie de s’engager dans l’ESS, alors même que le secteur peine parfois à valoriser ses multiples métiers ?
Pour y faire face, de plus en plus de collectivités installent des « pépinières intercommunales », qui jouent un rôle d’incubateur pour les initiatives jeunesse, ou s’associent avec les Universités Populaires innovantes, à l’image du projet “ESS en Campus” de l’Université Grenoble Alpes, qui rayonne jusqu’aux petits bourgs drômois.
Perspectives : un territoire qui inspire
Si la Drôme-Ardèche se distingue aujourd’hui, c’est par sa capacité à penser l’économie autrement, à l’échelle des bassins de vie et non des frontières administratives. Les coopérations intercommunales bouillonnent d’idées : de la ressourcerie partagée à la monnaie locale “LA DROMADAIRE” qui s’étend sur plusieurs communautés de communes, en passant par les projets de tiers-lieux sociaux (huit ouverts entre 2019 et 2023), l’imagination collective l’emporte souvent sur la rivalité ou le statu quo.
Ce qui se joue en Drôme-Ardèche est peut-être un modèle à suivre pour d’autres territoires : faire de la coopération une culture partagée, en conjuguant l’ancrage local, la créativité sociale et la force de l’action collective. À suivre, donc, dans les rues de Crest, dans les villages de la montagne ardéchoise ou lors du prochain forum ESS intercommunal : les alliances locales continuent de transformer la vie collective au quotidien, pour une économie sociale durable, inventive – et surtout, profondément humaine.
