Solidarités partagées : quand la coopération entre communes métamorphose l’entraide en Rhône-Alpes

30 septembre 2025

Une nouvelle dynamique solidaire au croisement des territoires

Impossible de parcourir la région Rhône-Alpes sans croiser, derrière les paysages, un fourmillement d’initiatives collectives, parfois invisibles, mais toujours essentielles pour tisser un lien social, répondre à l’isolement ou soutenir les plus fragiles. Ce qui frappe depuis quelques années, c’est que ces dynamiques d'entraide ne s’arrêtent plus à la frontière d’un village. Ingénieux, les acteurs locaux se réunissent, communiquent, créent des passerelles inédites avec leurs voisins. C’est ce maillage, cette solidarité à l’échelle intercommunale, qui attire aujourd’hui toute l’attention des chercheurs sur l’économie sociale (voir le rapport de Territoires Conseils – Caisse des Dépôts 2022), mais aussi des citoyennes et citoyens animés par le désir de faire, ensemble, la différence.

La coopération intercommunale, c’est quoi exactement ?

Avant d’aller plus loin, revenons sur le principe. En France, l’intercommunalité désigne la réunion de plusieurs communes dans une même structure pour organiser ensemble des compétences partagées – gestion des déchets, politique du logement, urbanisme, transport, etc. (Source : ministère de la Cohésion des territoires). Dans la région Rhône-Alpes, cette tendance a crû de façon remarquable : en 2024, la région compte plus de 270 établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), dont 18 communautés d’agglomération et 5 métropoles (dont Lyon et Grenoble), selon l’Observatoire régional de l’intercommunalité.

  • Communautés de communes : ciblent les petites villes et villages pour mutualiser leurs ressources.
  • Communautés d’agglomération : fédèrent les villes moyennes autour de grands projets communs.
  • Métropoles : concentrent des politiques urbaines de grande ampleur.

Ce sont des espaces où se rencontrent élus, agents publics, associations, mais aussi citoyens engagés. Depuis la loi NOTRe (2015), ces structures ont vu leurs compétences sociales et solidaires renforcées, transformant de simples partenaires administratifs en véritables catalyseurs d’innovation citoyenne (source : Vie Publique).

Pourquoi coopérer ? Les réponses du terrain

Que changent ces coopérations sur le plan solidaire ? Pour comprendre, rien de tel que des exemples concrets sur lesquels s’appuyer.

  • Lutte contre l’isolement rural : En Ardèche, l’intercommunalité du Pays de Lamastre a lancé, en 2023, un service d’entraide intercommunal de transport solidaire géré par des bénévoles. Résultat : des dizaines de personnes âgées peuvent désormais se déplacer hors de leur commune pour rencontrer des proches, accéder aux soins ou faire leurs courses. (Source : Le Progrès)
  • Banques alimentaires à l’échelle d’agglomération : À Chambéry, la communauté d’agglomération Grand Chambéry coordonne avec le réseau local associatif la logistique et la redistribution des denrées à plus de 40 points relais dans 20 communes, amplifiant la couverture sociale au-delà du centre-ville. Selon le Centre intercommunal d’action sociale, le nombre de bénéficiaires a augmenté de 17% entre 2022 et 2023, notamment en zones périurbaines.
  • Activités pour la jeunesse : Dans l’Ain, la communauté de communes de la Plaine de l’Ain a mutualisé les moyens pour proposer des chantiers jeunes solidaires transcommunaux pendant les vacances, avec encadrement, mission d’intérêt public et bourses à la clef. Depuis 2021, plus de 240 jeunes ont participé, dont 40% issus de territoires éloignés des offres habituelles.

Ces exemples illustrent comment le regroupement favorise l’innovation, l’efficacité et la continuité des actions. Finies les “poussières de projet” isolées dans chaque commune : place à une chaîne de solidarité qui s’étend, s’adapte, se nourrit de la diversité des territoires.

Le rôle clé des intercommunalités : que disent les chiffres ?

Derrière les initiatives, des chiffres en croissance notable :

  • En Rhône-Alpes, 78% des structures de l’économie sociale et solidaire (ESS) travaillent dans au moins deux communes (chiffres 2023, Observatoire ESS France), contre 63% à l’échelle nationale.
  • Plus de 440 projets solidaires intercommunaux sont recensés par le Réseau des collectivités territoriales pour une économie solidaire (RTES), allant de la mobilité à la santé, de la lutte contre la précarité à la culture partagée.
  • 58% des subventions publiques à l’ESS régionale sont désormais attribuées par une structure intercommunale, contre 36% il y a dix ans (analyse du CESER Auvergne Rhône-Alpes, 2023).

Ce mouvement traduit l’importance stratégique prise par les intercommunalités dans la vie quotidienne et la résilience sociale des territoires.

Des clés pour comprendre : forces et défis d’une solidarité “grandeur nature”

Pourquoi ça marche ?

  • Mise en commun des ressources : Finances, personnels, matériels, lieux... La mutualisation permet d’investir là où une commune isolée aurait renoncé, et de le faire pour davantage de bénéficiaires.
  • Croisement des compétences : Les équipes et bénévoles viennent d'horizons divers. Cela crée des partages d’expériences, des formations croisées, et une capacité à répondre à des besoins multiples (ex : une maison de santé intercommunale mêlant accueil infirmier, ateliers santé mentale, mobilités adaptées).
  • Echelle plus pertinente pour les solidarités du quotidien : Les besoins ne s’arrêtent pas à la frontière d’un bourg ou d’une ville ! L’échelon intercommunal permet de penser les mobilités, les soins, l’accès à la culture ou la lutte contre l’exclusion de façon plus juste.

Mais aussi des défis !

  • La question démocratique : Comment garantir la participation réelle de tous ? Le risque existe de voir les grandes “plates-formes” solidaires couper les liens entre bénévoles de terrain et habitants, si la concertation s’essouffle.
  • L’équité entre communes : Certaines redoutent de voir leurs spécificités diluées dans un projet commun, ou que les petits villages aient moins de voix que les centres urbains puissants.
  • Complexité administrative : La multiplication des acteurs et la palette des dispositifs peut rendre la gouvernance lourde, ce que pointent régulièrement les associations interrogées par la Fonda (2023).

Portraits d’actions remarquables en Rhône-Alpes

  • Solidarité Vallée de l’Arve : Regroupement de huit communes pour apporter un accueil d’urgence aux femmes victimes de violences, avec hébergement intercommunal relais et accompagnement psychologique coordonné. En 2023, plus de 120 familles accueillies, dont 35% venaient de communes dépourvues jusque-là d’offres adaptées.
  • La Fabrique des Communs (Drôme) : Cette initiative tisse un réseau intercommunal d’ateliers partagés (cuisine solidaire, réparation, jardinage) dans le Royans-Vercors. Elle a inspiré la création d’un fonds participatif alimenté à parts égales par six mairies, des entreprises locales et les usagers eux-mêmes : plus de 5500 heures d’ateliers offerts en 2023.
  • Plateforme de transport solidaire du Grand Lyon : Née pendant la crise sanitaire, elle a relié bénévoles, associations et CCAS de 12 communes pour assurer 11 000 déplacements essentiels (soins, courses, visites familiales) en deux ans, touchant des publics fragilisés par le contexte pandémique. Elle a été pérennisée et étendue à la mobilité des jeunes adultes vers les emplois saisonniers.

L’émergence de nouvelles formes de solidarité : tendances de demain

La coopération intercommunale ne se limite plus à la gestion de services ou à l’entraide ponctuelle : elle devient progressivement un laboratoire d’innovation sociale, qui invente des solutions nouvelles, souvent coproduites avec les habitants. Plusieurs tendances se dessinent en Rhône-Alpes :

  • Budget participatif intercommunal : Certaines communautés, comme celle du Val de Drôme, allouent désormais une partie du budget à des projets proposés et votés par les habitants eux-mêmes, favorisant l’émergence d’actions à fort ancrage local.
  • Co-création de politiques jeunesse et inclusion : Par exemple, dans l’Ouest lyonnais, les jeunes sont invités à siéger dans des “conseils solidaires” pour orienter l’action sociale, pousser l’innovation numérique (applications pour lutter contre l’isolement, cartes interactives de bénévolat).
  • Partenariats associatifs renforcés : Face à la vulnérabilité de certaines associations, les intercommunalités proposent désormais des “pôles ressources”, où elles mutualisent la gestion, l’accompagnement, la formation et les outils numériques pour embarquer davantage d’acteurs, et lutter contre l’essoufflement des bénévoles (Source : rapport CRI Auvergne Rhône-Alpes 2023).

Perspectives : quand l’exemple fait école

La dynamique intercommunale rhônalpine, qui conjugue ancrage local et mutualisation d’envergure, commence aujourd’hui à inspirer d’autres territoires français (Bretagne, Nord), mais aussi au-delà, dans des régions frontalières telles que le Tessin (Suisse). Le succès tient autant à la force de l’engagement citoyen qu’à la capacité des élus et collectivités à s’ouvrir à la co-construction, à cultiver la confiance, et à inventer des outils adaptés.

Les solidarités de demain se dessineront sans doute sur ces bases : essaimer le pouvoir d’agir, croiser les expériences, sortir des frontières symboliques qui morcellent les réponses aux besoins humains. Un pari qui, de toute évidence, se joue déjà, chaque jour, au cœur des vallées et des agglomérations de Rhône-Alpes.

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