À Saint-Étienne, la solidarité s’invente : zoom sur des associations locales qui bougent les lignes

13 septembre 2025

Entre précarité et solidarité : Saint-Étienne, laboratoire d’engagements citoyens

Saint-Étienne, ville industrielle marquée par l’histoire ouvrière, connaît encore aujourd’hui des défis sociaux majeurs. Près d’un quart des Stéphanois vit sous le seuil de pauvreté selon l’INSEE (chiffres 2020, source : INSEE), soit nettement au-dessus de la moyenne nationale. Zones prioritaires, chômage, précarité alimentaire ou fractures d’accès aux droits : loin de subir, des habitants et des collectifs s’engagent dans une dynamique solidaire remarquable.

Quelles réponses émergent face à ces réalités ? Quatre initiatives associatives retiennent l’attention, par leur inventivité, leur impact et leur ancrage local. Cet article part à la rencontre de ces projets, qui, chacun à leur manière, œuvrent à resserrer les liens, ouvrir des perspectives et combattre l’isolement.

L’alimentation pour tous : l’épicerie solidaire Épisol, plus qu’un magasin

Dans le quartier de Beaubrun-Tarentaize, Épisol n’est pas une épicerie comme les autres. Ouvert en 2017, ce lieu propose des denrées à prix réduits pour les personnes en difficulté, tout en mettant un point d’honneur à la création de lien social. L’accès aux rayons se fait sur dossier, mais ici, pas de stigmatisation ni d’assistanat : le projet revendique le « faire ensemble » autour de l’alimentation.

  • Plus de 700 foyers accompagnés en 2023 : selon l’association, un public jeune, varié, souvent des familles monoparentales, mais aussi des étudiants, fragilisés par la précarité.
  • Des ateliers cuisine partagés : Épisol propose régulièrement des ateliers pour apprendre à cuisiner sainement avec un petit budget, rompre l’isolement et transmettre des astuces anti-gaspi.
  • Une attention aux producteurs locaux : l’association travaille main dans la main avec les agriculteurs de la Loire pour encourager un circuit court, éthique et accessible à tous.

Derrière les produits à bas coût, c’est une philosophie qui s’affirme : chacun a droit à une alimentation digne, choisie, et la lutte contre la précarité alimentaire peut aussi devenir, à sa mesure, un vivier de rencontres et d’empowerment.

Source : Épisol Saint-Étienne, rapport d’activité 2023

Apprendre, se former, trouver sa voie : la Ruche des Citoyens active l’inclusion

L’égalité des chances passe par l’accès à l’éducation, à la formation et à l’emploi. Bien des jeunes de Saint-Étienne, diplômés ou non, peinent à trouver une place sur le marché du travail ou à s’orienter. C’est pour répondre à cette urgence que la Ruche des Citoyens a été créée en 2019, dans le quartier de Montreynaud.

  • Un accompagnement sur mesure : ateliers « projet collectif d’avenir », permanence d’aide à la rédaction de CV et lettres de motivation, simulation d’entretiens, repérage de dispositifs de formation…
  • Plus de 320 jeunes suivis en 2023, dont 60 % sont partis vers une solution positive (emploi, formation, service civique).
  • Rencontres inspirantes : régulièrement, des professionnels ou des entrepreneurs stéphanois viennent partager leur expérience, démystifier certains parcours, et donner envie d’oser.

Leur originalité : réunir tous les mercredis un « atelier débats citoyens » qui invite à réfléchir collectivement sur la place des jeunes, l’égalité, le vivre-ensemble et la participation. L’association se veut un tremplin vers la citoyenneté active et la prise de confiance.

Source : La Ruche des Citoyens, interview croisée avec la Directrice (2024)

Un toit, un droit : When en Ville, pour l’accueil et l’accès au logement

À Saint-Étienne, selon la Fondation Abbé Pierre, plus de 2 700 personnes seraient en situation de mal-logement, dont 400 enfants. Face à la saturation des dispositifs classiques et à la multiplication des situations complexes, l’association When en Ville tente une autre voie : l’accueil temporaire, l’accompagnement vers le logement autonome, et la création de solidarités de voisinage.

  • Dispositif « Familles d’accueil solidaires » : une trentaine de foyers stéphanois ouvrent leur porte à des personnes en errance, pour des hébergements courte ou moyenne durée, en lien étroit avec les travailleurs sociaux.
  • Accompagnement global : accrochage administratif, accès aux droits, ateliers logement (comprendre son bail, ses droits et devoirs), petit accompagnement budgétaire…
  • Mobilisation citoyenne : mobilisation de propriétaires privés solidaires, ateliers de sensibilisation dans les quartiers, plaidoyer pour le logement abordable : l’association est aussi un acteur démocratique.

Un projet à « haute intensité humaine » selon le terme de ses salariés, qui a permis à une centaine de personnes de sortir de l’urgence en 2023, tout en sensibilisant la population locale à la question du mal-logement.

Source : Fondation Abbé Pierre / rapport When en Ville 2023

Réduire la fracture numérique, clé de l’insertion : l’exemple de Zoomacom

Dans une société de plus en plus digitalisée, l’accès aux outils et aux usages numériques devient un enjeu central contre les inégalités. Saint-Étienne, qui porte le label « French Tech », n’y échappe pas : selon les diagnostics de la Métropole (2021), plus de 15 % des foyers de certains quartiers n’ont pas d’équipement informatique adapté.

C’est dans ce contexte que l’association Zoomacom s’engage depuis près de 20 ans à « donner à chacun les clés du numérique ». L’association, bien ancrée dans sa « maison des savoirs » du quartier Manufacture-Platine, déploie plusieurs niveaux d’intervention :

  • Ateliers de formation gratuits pour l’apprentissage des outils numériques de base à destination des seniors, des familles en difficulté, des jeunes sans diplôme.
  • Accompagnements individuels pour les démarches administratives en ligne (CAF, Pôle Emploi, santé, préinscriptions scolaires, logement social…)
  • Distribution d’ordinateurs reconditionnés issus de dons d’entreprises ou de collectivités, avec des actions de sensibilisation à la sobriété numérique.
  • Initiation citoyenne : projet « Fake News », jeux pour apprendre à repérer les arnaques ou les contenus toxiques qui pullulent en ligne.

Zoomacom a accompagné près de 1 200 usagers en 2023 et installé 94 ordinateurs auprès de familles en situation de précarité numérique (source : Zoomacom, rapport d’activité 2023). C’est aussi un pilier important du Conseil national du numérique au niveau local.

Femmes et égalité : vers de nouveaux espaces de confiance

La précarité frappe de façon spécifique les femmes de quartiers populaires, qu’il s’agisse d’isolement, de discriminations à l’embauche ou d’accès à l’autonomie. Plusieurs associations stéphanoises innovent sur ce terrain.

Parmi elles, Femmes d’ici et d’ailleurs se démarque par ses ateliers participatifs alliant soutien psychologique, accès à la santé, médiation interculturelle et entraide à la parentalité. En 2023, près de 300 femmes ont bénéficié de leurs dispositifs, du café-rencontre à l’atelier « confiance en soi par le théâtre », en passant par les permanences juridiques (source : Femmes d’ici et d’ailleurs, entretien 2024 / InterASO 42).

  • Points forts : absence de jugement, multiculturalisme, implication active des bénéficiaires, ponts créés avec les centres sociaux et les acteurs de santé locaux.
  • Leur pari : permettre aux femmes de s’exprimer, de sortir de l’isolement, de monter des micro-projets (garde partagée, couture solidaire, ateliers d’alphabétisation)

Ces lieux de confiance, en dehors de toute institution, sont souvent les premiers tremplins vers l’autonomie.

Chronique urbaine : quand la créativité rencontre la solidarité

On ne peut pas parler de Saint-Étienne sans évoquer l’énergie créative de son tissu associatif. Si la lutte contre les inégalités passe par l’aide concrète et l’accès aux droits, elle se nourrit tout autant de culture et de jeunesse. Les initiatives mêlant art, expression et action sociale fleurissent, en particulier chez les plus jeunes et dans l’espace public.

  • Murs ouverts (collectif de street-art) anime régulièrement des ateliers participatifs dans les quartiers Sud-Est, donnant aux adolescents et aux enfants un espace d’expression pour raconter leur vécu, graver sur les murs les défis et rêves d’un quartier parfois stigmatisé.
  • Bouge ta salle, association animant des concerts solidaires à la MJC des Tilleuls, reverse une partie des recettes à des familles en difficulté et organise des rencontres interculturelles (source : Le Progrès, édition Saint-Étienne, janvier 2024).

Dans tous ces projets, on retrouve la même conviction : la solidarité n’est pas qu’une question de besoin, elle est aussi une aventure collective, joyeuse, qui s’invente ici et maintenant.

Vers de nouveaux possibles : des défis persistants, des ressources en mouvement

Saint-Étienne, ville aux visages multiples, apparaît comme un véritable terrain d’expérimentation sociale. Chiffres à l’appui, le tissu associatif prouve sa réactivité et sa capacité à faire émerger des solutions concrètes, parfois là où les institutions peinent à aller. Si les réflexes de l’urgence subsistent – notamment face aux questions de logement ou de pauvreté infantile –, on note une montée en puissance des approches globales et participatives. L’alimentation, le numérique, l’empowerment, l’expression, la culture : les marges d’action sont larges, pourvu qu’elles s’appuient sur la parole et l’initiative des habitants.

Les enjeux restent immenses et l’investissement des pouvoirs publics demeure une condition incontournable pour pérenniser ces avancées. Mais la force des collectifs de Saint-Étienne tient justement dans leur créativité et leur obstination à tisser du commun, dans chaque coin de quartier. Un exemple éclairant pour d’autres territoires, toujours en quête de solutions vivantes face aux inégalités.

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