Au cœur des initiatives collectives : quand la Haute-Savoie mise sur l’écologie solidaire
25 septembre 2025
Changements climatiques et solidarité : la dynamique associative en Haute-Savoie
En Haute-Savoie, territoire de montagnes et de lacs, l’urgence écologique ne se vit pas seulement comme une menace lointaine : c’est une réalité quotidienne. Réchauffement climatique, fonte accélérée du glacier de la Mer de Glace, évènements climatiques extrêmes : le département voit de près l’impact environnemental (source : France Bleu). Mais la réponse à ces défis n’est pas que technique ou scientifique. Elle s’invente aussi, et surtout, sur le terrain de la solidarité citoyenne.
- Plus de 1 800 associations à but environnemental et social recensées en Haute-Savoie (source : Préfecture de Haute-Savoie).
- La création d’environ 100 nouvelles associations par an depuis 2017 autour des thématiques écologiques et de solidarité locale (INSEE).
Là-haut, de Thonon à Annecy, cette effervescence associative s’affiche sur les marchés, dans les écoles, au pied des immeubles et jusque dans les couloirs des entreprises locales. Quelles sont les clés de ce foisonnement ? Comment naissent et se développent ces projets collaboratifs, qui font rimer écologie et solidarité ?
Des collectifs hybrides, entre environnement et justice sociale
L’écologie solidaire, ici, c’est bien plus que le tri des déchets. C’est une façon de repenser le lien à l’autre en même temps que le lien à la nature. Plusieurs associations font figure de pionnières.
Portrait : Le Grand Bain à Annecy, laboratoire de transitions
Créée en 2018, l’association Le Grand Bain donne le ton : café associatif, ateliers “repair vélo”, friperie solidaire… mais aussi support pour lancer des projets collectifs (groupes de jardins partagés, coworking engagé). En partageant ses compétences et ses outils, ce lieu unique fédère autour de 750 membres actifs, tous âges et profils confondus. Une nouvelle dynamique est ainsi impulsée, où la transition écologique va de pair avec la lutte contre l’isolement ou la précarité.
- En 2023, plus de 1 400 kg de déchets détournés de la déchetterie grâce au pôle “réparation et réemploi”.
- Un comité de pilotage de 12 structures partenaires : associations d’insertion, revendeurs de seconde main, collectivités.
L’agriculture urbaine solidaire : “Les Potagers Solidaires” à Annemasse
À Annemasse, le collectif Les Potagers Solidaires réunit habitants, étudiants, personnes âgées et migrants autour de parcelles partagées. Ici, ce n’est pas seulement la cohésion sociale qui prend racine, c’est aussi la lutte contre la précarité alimentaire : fruits et légumes produits collectivement sont redistribués entre les participants et des familles en difficulté sélectionnées avec les travailleurs sociaux du CCAS.
- Plus de 3,2 tonnes de légumes produits en 2022 sur 2 hectares (source : Annemasse Agglo).
- Ateliers hebdomadaires de cuisine anti-gaspi, ouverts à 120 familles chaque année.
La gouvernance partagée au cœur des projets
À la différence des associations plus traditionnelles, nombre de collectifs environnementaux haut-savoyards fonctionnent sur un mode horizontal : le pouvoir est partagé, la prise de décision se fait en assemblée ouverte, l’engagement de chacun est valorisé, quelle que soit son expérience.
- Formations à la démocratie participative, comme avec l’association Citoyens Pour le Climat Haute-Savoie : chaque membre peut contribuer à la stratégie ou au choix des actions.
- Permanences tournantes pour l’accueil, la gestion de l’association et la médiation, comme chez La Ressourcerie du Chablais.
L’effet ? Un plus fort sentiment d’appropriation, moins de turn-over, et surtout des transformations durables. Selon un sondage interne de l’association La Toupie (2023), 68% des bénévoles disent s’être sentis “plus utiles et plus confiants pour s’investir au quotidien” depuis leur arrivée dans la structure.
Quand écologie solidaire rime avec économie locale
En Haute-Savoie, où le coût de la vie grimpe avec l’attractivité frontalière, les initiatives pour une économie autrement prennent de l’ampleur. Plusieurs structures lient écologie, dynamique locale et solidarité sociale.
Tables rondes, monnaies locales : l’exemple de la Gentiane
La monnaie locale La Gentiane, lancée en 2018, fédère plus de 180 commerçants, producteurs et artisans régionaux. L’objectif : soutenir l’économie de proximité, favoriser la relocalisation des filières alimentaires et valoriser ceux qui s’engagent dans une démarche durable.
- Plus de 200 000 Gentianes en circulation en 2023 (source : Site La Gentiane).
- Un quart de ces échanges impliquent des associations ou structures d’insertion.
Le rôle clé des éco-événements solidaires (festivals, ressourceries, chantiers participatifs)
Plus qu’une simple vitrine, ces moments sont des laboratoires vivants : festivals “zéro déchet”, bourses aux vélos, collectes solidaires de matériel… À la Ressourcerie du Chablais, à Thonon, par exemple, ce sont plus de 430 tonnes d’objets collectés, triés et revendus ou donnés en 2022. 27% sont directement remis à des personnes adressées par les acteurs du social ().
- Création de 16 emplois directs et de 44 places en chantier d’insertion en 2023.
- Mise en place de systèmes d’échange local de compétences lors des “Apéros Bricol’” mensuels.
Ces lieux deviennent ainsi des carrefours pour les personnes fragilisées, les familles, les jeunes, mais aussi les retraités, animés par le goût du partage et de la transmission.
Des projets collaboratifs ouverts à toutes et tous
Des outils pour réduire les barrières à l’engagement
- Langage simplifié et communication accessible (pictogrammes, vidéos) pour toucher un public plus large : initiative de l’association Les Gens de la Broche qui anime des ateliers intergénérationnels à Cluses.
- Partenariats avec les écoles et associations d’insertion pour ouvrir les projets aux jeunes éloignés de l’emploi ou aux publics non-francophones.
- Systèmes d’entraide “Pair à pair” : mentorat entre bénévoles expérimentés et nouveaux venus.
L’un des succès du Printemps 2024 à Sévrier, c’est “Mon vélo, mon quartier”, microprojet issu d’un budget participatif communal. Répare-vélos, ateliers de customisation, sensibilisation au code de la route : plus de 50 enfants et leurs familles ont pris part aux différents volets, dans une ambiance festive et inclusive. Les vélos reconditionnés ? Ils sont attribués en priorité à des familles aux revenus modestes (source : Mairie de Sévrier).
L’ancrage local : facteur de réussite et de résilience
Ce qui distingue les projets collaboratifs haut-savoyards, c’est leur capacité à bâtir avec les ressources existantes : élus, commerçants, agriculteurs, centres sociaux, paroisses ou clubs sportifs. Cette approche “archipel” permet de mutualiser les outils, d’éviter les doublons et de s’adapter rapidement aux évolutions (crise Covid, flambée des prix de l’énergie, arrivée de nouveaux habitants).
- Exemple marquant : à Faverges, le collectif “Écologie pour Tous” s’est allié aux bouchers-charcutiers et à la paroisse pour lancer une collecte de compost commune. Résultat : 27 points de dépôt accessibles et une tonne de biodéchets captée chaque trimestre, dont une partie redistribuée en engrais pour les jardins partagés.
- L’association Le Grain de Sel a mobilisé un réseau de 34 commerçants pour collecter les invendus et organiser deux distributions par semaine dans le bassin d’Annecy.
Quels impacts pour le territoire ?
Loin du symbole ou de la simple “bonne action”, ces projets produisent des changements tangibles. À l’échelle départementale, la coordination entre associations solidaires et structures environnementales a permis :
- Le détournement de plus de 6 500 tonnes de déchets des filières classiques sur la période 2021-2023 (chiffres cumulés des ressourceries, compost collectifs, épiceries solidaires, source : Sydém74 et Agence Régionale de Santé/ADEME Auvergne-Rhône-Alpes)
- Le développement de 40 nouvelles zones de jardins partagés en cinq ans, touchant chaque année 1 800 personnes (source : Annemasse Agglo/Espaces Verts Partagés).
- L’émergence de nouvelles formes de leadership féminin ou intergénérationnel, avec plus de 60% des conseils d’administration des structures interviewées en 2023 intégrant des jeunes de moins de 35 ans ou des seniors (+65 ans).
Vers de nouveaux possibles : perspectives et défis à relever
La Haute-Savoie prouve au quotidien que l’écologie ne se pense ni sans, ni contre les questions sociales : ici, chaque association, petit projet ou grande fédération invente des manières de vivre ensemble et de préserver le cadre de vie. Si les défis restent grands (financements, accès aux locaux, implication sur la durée, mobilisation du public…), la dynamique collaborative offre des pistes inspirantes et reproductibles ailleurs.
- Les appels à projets régionaux comme “Mon Village à l’Heure de l’Écologie” ou les budgets participatifs alloués à la transition juste accentuent cette dynamique.
- Les alliances inédites – petites associations, grandes institutions, collectifs citoyens, acteurs économiques – donnent naissance à de véritables laboratoires d’innovation sociale et environnementale.
Ce qui se joue aujourd’hui en Haute-Savoie, c’est bien une capacité à tisser, chemin faisant, une écologie du lien autant que des solutions. Ce sont là des germes précieux pour toute la région, et au-delà.
