Sur le terrain de la solidarité : Valence et ses intercommunalités, laboratoires d’actions citoyennes

Valence Romans Agglo : palette d’outils, socle commun

Derrière le sigle “Valence Romans Agglo” se cache une intercommunalité de 56 communes, riche de plus de 225 000 habitants (source : Valence Romans Agglo). Cette agglomération joue un rôle déterminant comme “maison commune” des politiques publiques de solidarité : mutualisation de moyens techniques et humains, mais aussi coordination stratégique et animation de réseaux associatifs. L’action concrète commence souvent ici, dans l’élaboration de cadres partagés et de dispositifs souples pour encourager l’engagement local.

• Le financement : Depuis 2023, près de 2,1 millions d’euros ont été consacrés chaque année à des dispositifs de soutien aux associations, de l’aide aux petits projets de quartier à l’accompagnement de structures d’insertion (INSEE).
• L’appel à projets “Initiatives Citoyennes” : Créé en 2019, il permet à chaque habitant, groupe informel ou association de proposer un projet, avec des dotations allant jusqu’à 5 000 €. Résultat : plus de 160 projets soutenus en 4 ans.
• Le “Forum des associations” de l’Agglo : Rendez-vous annuel représentant plus de 350 associations, c’est un moment clé d’échanges directs avec les élus, les services techniques, et entre acteurs eux-mêmes.

Ce socle d’outils partagés, consultable sur le site officiel de l’Agglo, favorise une logique à la fois incitative et responsabilisante. Mais le cœur du sujet, ce sont bien les pratiques de terrain, l’écoute et la reconnaissance de la diversité locale.

Animation et articulation : la fabrique du lien social

Coordonner ne signifie pas uniformiser : l’enjeu pour l’intercommunalité est bien de faire travailler ensemble des pratiques, des envies (parfois divergentes), tout en veillant à une certaine équité territoriale. Les coordinations menées prennent donc souvent des formes hybrides, adaptatives :

• Les “Maisons citoyennes” : Véritables “petits laboratoires sociaux”, elles accueillent tout au long de l’année des ateliers participatifs, des permanences d’associations, et servent de relais pour les initiatives ponctuelles. Un exemple : celle de la Monnaie–Bleue, à Valence Nord, où se croisent cours de français, potagers partagés et conseils juridiques gratuits.
• Les Conseils citoyens intercommunaux : Créés suite à la loi Lamy (2014) sur la politique de la ville, ils fédèrent habitants, associations et travailleurs sociaux pour co-construire les priorités annuelles à l’échelle de plusieurs quartiers ou communes attenantes.
• La plateforme numérique “Solidaires sur l’Agglo” : Lancée fin 2020, elle recense les besoins, les offres de bénévolat et d’entraide, les événements et permanences. Près de 4 000 utilisateurs réguliers étaient inscrits début 2024.

Cette art et cette tactique du maillage favorisent trois effets structurants :

1. La mutualisation de ressources matérielles (locaux, matériel pédagogique, moyens de communication).
2. L’accroissement de la visibilité des “petits” projets, qui trouvent ainsi alliés et relais dans d’autres quartiers.
3. La création d’espaces-temps d’échange informels, véritables “incubateurs” de solidarité spontanée.

Portraits croisés : acteurs et projets sous les projecteurs

Marie et l’atelier vélo solidaire

À Romans-sur-Isère, Marie, bénévole de La Bicyclette Bleue, raconte que c’est grâce au forum annuel organisé par l’Agglo qu’elle a noué un précieux partenariat avec la Maison des familles. “Nous avions le matériel mais pas de lieu pour nos ateliers réemploi. Le forum a fait circuler l’info : en moins d’un mois, on a pu coupler nos activités”, précise-t-elle. Grâce à la médiation de l’animateur intercommunal, le projet a pu s’étendre à deux nouveaux quartiers.

Ismaël, médiateur dans les quartiers Sud

Ismaël est connu à Valence pour ses médiations de rue auprès des jeunes. Il souligne combien le Conseil citoyen lui a permis “de porter la parole des habitants directement devant les élus d’agglomération”, mais aussi de monter des formations croisées entre bénévoles, travailleurs sociaux et élus, prévues chaque trimestre.

La “Jardinerie partagée” de Portes-lès-Valence

Ce collectif informel de familles a pu structurer son action – organiser des ateliers compost, sensibiliser à l’alimentation saine – en accédant aux locaux d’un centre social, mis à disposition par l’Agglo lors de la Fête des possibles 2022. Le projet a permis, au fil des saisons, de réunir autour du jardin partagé près de 70 habitants, toutes générations confondues.

Le rôle clé des agents intercommunaux : “catalyseurs” bienveillants

Si l’on parle souvent d’administrations rigides, dans la Drôme, certains agents intercommunaux incarnent au contraire une culture de la “porte ouverte”. Leur métier, peu visible, consiste à faire circuler l’information, orienter, rassurer, débloquer des situations et… dédramatiser les démarches administratives.

Parmi leurs missions quotidiennes :

• Mettre en réseau des associations ayant des thématiques proches.
• Accompagner la gestion de subventions (montage de dossier, suivi).
• Organiser des chantiers participatifs (renouvellement mobilier urbain, fresques, fêtes de quartier).
• Faire le pont entre la parole citoyenne (souvent informelle) et les délibérations institutionnelles.

Des études menées par l’ANCT (Agence nationale de la cohésion des territoires) indiquent qu’une coordination efficace peut multiplier par trois le nombre de volontaires actifs au sein des actions locales, par rapport à une gestion purement municipale.

Freins, défis et pistes d’amélioration

Même coordonnés, ces dispositifs rencontrent plusieurs défis de taille :

• Equité territoriale : Les quartiers “périphériques” ou ruraux restent parfois moins intégrés aux réseaux, faute de relais locaux ou de moyens de transport adaptés. Le projet pilote “Solidarité mobile”, testé en 2023, tente justement d’y répondre via minibus associatifs mutualisés.
• Bureaucratie : Pour les petites associations, la complexité des procédures peut freiner la saisie des dispositifs. Un groupe de travail intercommunal prépare un “guichet unique” numérique, prévu pour courant 2024.
• Renouvellement des bénévoles : Si la mobilisation reste forte chez les plus de 55 ans, la participation des jeunes adultes plafonne sous la barre des 10 % selon les chiffres de l’INJEP (Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire, données 2022).

À noter, un effet positif à souligner : l’engouement pour la solidarité de proximité, recréé par la pandémie, a incité l’Agglo à lancer en 2021 des “cafés bénévolat itinérants”, ouverts à tous, tous âges confondus. Résultat : 320 nouvelles inscriptions sur la plateforme Solidaire sur l’Agglo en moins de 18 mois.

Pour une solidarité cousue main : quelles perspectives pour Valence et sa région ?

À l’heure où les territoires cherchent à renforcer leurs liens et leur résilience, le modèle de coordination des intercommunalités drômoises attire une attention croissante, notamment lors des Rencontres nationales de la participation (2023, Valence). Dans un contexte de recomposition institutionnelle et de diversification des formes d’engagement, la Drôme démontre qu’il n’y a pas d’uniformité magique, mais des alliances à inventer, ajuster, entre élus, habitants et associations, quartier par quartier.

La coordination, loin d’être un simple processus administratif, s’avère être une œuvre vivante, où chaque acteur – de l’agent intercommunal à la retraitée bénévole, du jardin partagé à la plateforme numérique – dispose d’un rôle singulier mais relié aux autres. Ce n’est pas tant le “modèle” qui fait la force de Valence et de ses intercommunalités, que la constellation d’expérimentations ajustées aux réalités locales, attentives à la parole de chacun. Une leçon d’humilité et d’intelligence collective, à suivre – et à adapter – bien au-delà de la Drôme.