Solidarités en mouvement : regards croisés sur les dynamiques collectives autour d’Annecy
10 octobre 2025
L’union intercommunale : un moteur solidement ancré
La transformation du Grand Annecy en communauté d’agglomération en 2017 n’est pas anodine. Elle a permis de mutualiser les moyens et de porter, à échelle élargie, des politiques sociales et solidaires ambitieuses. Avec 34 communes et plus de 205 000 habitants (Insee, 2022), le Grand Annecy fédère des profils très divers — urbains du centre, néo-ruraux, populations précaires, étudiants, seniors isolés, travailleurs frontaliers. La solidarité s’y tisse au quotidien, via différents leviers :
- Le Contrat de Ville : entre 2015 et 2023, ce dispositif a permis d’accompagner près de 70 actions solidaires dans les quartiers prioritaires (source : Ville d’Annecy), qu’il s’agisse de soutien scolaire, de ré-emploi d’objets ou de jardins partagés.
- La Politique de la ville : elle structure l’action sociale en coordonnant acteurs associatifs et collectifs citoyens. Cette coordination permet, par exemple, d’éviter l’isolement des associations, qui peuvent mutualiser des locaux, des moyens de transport ou des outils de communication.
- Le Plan local d’insertion et d’emploi (PLIE) : partagé par plusieurs communes, il favorise l’insertion des publics vulnérables (réfugiés, chômeurs longue durée, personnes en situation de handicap) avec un accompagnement renforcé et la mise en réseau avec les employeurs locaux.
Tout ceci repose sur une même conviction : seul, on va plus vite, à plusieurs, on va plus loin — et chacun devient l’ambassadeur d’un territoire qui gagne à s’ouvrir plutôt qu’à se replier.
Des associations-pivots et des collectifs fédérateurs
En Rhône-Alpes, Annecy et sa périphérie sont souvent citées pour la densité de leur tissu associatif — on compte plus de 2 900 associations pour l’ensemble de l’agglomération (Grand Annecy, 2023). Mais la singularité, ici, c’est la synergie entre acteurs, et pas seulement la somme des bonnes volontés. Quelques exemples marquants :
- Solidarité Nouvelles Face au Chômage (SNC Annecy) : au lieu d’agir seule, l’association travaille de pair avec les mairies et Pôle Emploi pour coconstruire des ateliers, mutualise ses salles avec d’autres acteurs et propose sa méthodologie à petite échelle, dans des communes comme Epagny-Metz-Tessy.
- La Fabrique des Possibles : à Cran-Gevrier, cette coopérative permet à plusieurs porteurs de projets d’économie circulaire — recyclerie Envie, atelier vélo associatif Roue Libre, etc. — de partager matériels, réseaux, bénévoles et financements.
- Les Colibris 74, collectif inspiré par le mouvement national, fédère des actions citoyennes sur plusieurs communes : Repair Cafés, gratiferias, potagers collectifs font boule de neige, dopés par les échanges d’outils et de volontaires.
L’interconnaissance, graine de l’action commune
La catalyse a lieu aussi au travers de « rencontres d’acteurs », organisées ponctuellement par la ville ou le centre communal d’action sociale (CCAS). Ces formats, déployés à Seynod ou Annecy-le-Vieux, permettent à des associations parfois concurrentes dans d’autres contextes de tisser des liens :
- prêt logistique ou humain pour un événement qu’elles co-organisent,
- partage de listing de bénévoles formés,
- groupements d’achat solidaire de denrées locales (par exemple dans les épiceries solidaires comme « Le Grammô » à Meythet).
Ainsi, la transition alimentaire et la lutte contre la précarité alimentaire dépassent le stade des actions isolées pour prendre une vraie ampleur intercommunale.
Portraits de celles et ceux qui font bouger la solidarité
La force tranquille d’un bénévole multicartes : Lucien, 68 ans, résident d’Argonay
Lucien pourrait passer ses journées à contempler le Parmelan. Mais depuis dix ans, il est l’un des « passerelles » les plus connus du territoire. Tour à tour accompagnateur de jeunes migrants pour l’association Accueil Réfugiés 74, jardinier du samedi avec les Incroyables Comestibles de sa commune, membre du four à pain solidaire, il refuse de cloisonner ses engagements. « Les projets communs, c’est simple, ça fonctionne parce qu’on partage le terrain, le café du matin, les embûches. On apprend à se faire confiance. » Son mantra : « ici, pas de héros, chacun fait un bout du chemin. »
Des jeunes qui innover dans l’action : focus sur l’École de la 2ème chance
À Annecy-le-Vieux, l’École de la 2ème chance accueille chaque année des dizaines de jeunes de 18 à 25 ans en décrochage scolaire (source : E2C Annecy). Ce qui rend ce lieu unique : le partenariat tissé avec des entreprises et associations du bassin annécien, qui proposent ateliers, stages et missions bénévoles. Cette alliance école-association-collectivité a permis l’émergence de projets collectifs (ramassage de déchets sur les berges, organisation de repas solidaires) qui mêlent apprentissage, solidarité et engagement civique.
Les écomités de quartiers : “mini-mairies” citoyennes
Dans plusieurs quartiers comme Novel, la Redoute ou Albigny, des écomités ont vu le jour. Leur mode d’action ? Rassembler habitantes et habitants volontaires, travailleurs sociaux, élus locaux et associations, pour identifier ensemble les besoins prioritaires (mobilité douce, entraide au quotidien, lutte contre l’isolement) et monter des microprojets qui essaiment ensuite ailleurs.
Des projets-phares qui font école
- La Recyclerie de Meythet : née d’un partenariat croisé entre la commune, le CCAS, la régie de quartier, et des artisans locaux, la Recyclerie emploie aujourd’hui une dizaine de personnes en réinsertion et lutte contre le gaspillage. En 2022, elle a récupéré et valorisé plus de 90 tonnes de matériaux.
- Les jardins partagés de Seynod et Chavanod : plus de 210 parcelles gérées collectivement, accessibles sur critères sociaux et cultivées en permaculture, en partenariat avec le centre social “La Maison” et l’association Grain de Folie.
- Les Paniers solidaires (Annecy centre) : chaque semaine, les restes de marchés alimentaires sont triés et redistribués à plus de 300 foyers, grâce à la coordination entre maraîchers, associations de quartier et CCAS.
Ces quelques exemples ne sont que l’arbre qui cache la forêt : sur le modèle de la ressourcerie, emprunté à Chambéry, ou de l’habitat participatif (Avec Béguinage Solidaire), les territoires d’Annecy testent, adaptent, mutualisent et… partagent les leçons de leurs réussites comme de leurs ratés.
Les leviers concrets de la coopération : ce qui fait la différence localement
- L’existence d’espaces mutualisés (la maison des associations de Novel, le tiers-lieu Les Passerelles à Cran-Gevrier) : ils offrent aux structures bénévoles ou professionnelles des bureaux, salles de réunion, ateliers, et facilitent la rencontre entre initiatives.
- Une logique de “double ancrage” : beaucoup de porteurs de projet habitent sur le secteur, travaillent à Annecy même, et nouent naturellement des liens horizontaux. L’ancrage rural et urbain se répond, rendant le dialogue plus fluide, loin des traditionnelles frontières centre/périphérie.
- L’entrée par les besoins et non par l’offre : dans la construction des actions, on part des doléances recueillies lors de diagnostics de quartier ou de forums citoyens annuels. C’est ce qui a permis d’orienter l’effort sur la précarité alimentaire en 2021, puis sur l’accès à la culture et au numérique en 2022 (Grand Annecy).
- Le soutien technique des collectivités : accompagnement administratif, aide à la recherche de financements européens (FEDER, Fonds social européen), appui à la communication… tous indispensables à la pérennité des projets nés au local.
Des défis… et de belles marges de progression
Si la coopération autour d’Annecy inspire, elle connaît aussi ses zones de turbulence : explosion de la précarité chez les plus jeunes, renforcement du mal-logement, difficultés à fidéliser des bénévoles très sollicités. Autre limite : le risque que certains villages périphériques se sentent “moins considérés” dans les grands projets. Pour contenir ces faiblesses, la coordination tente d’élargir le cercle, d’impliquer plus d’acteurs privés (mutuelles, PME locales, bailleurs sociaux) et de renforcer la participation des publics fragiles dans les instances de décision.
La solidarité annécienne, une fabrique vivante et contagieuse
Autour d’Annecy, la solidarité n’est pas une idée neuve. Mais ce territoire prouve qu’avec une dose d’écoute, une bonne pincée de coopération et un petit grain de fantaisie, elle peut s’inventer sans cesse. Les frontières communales deviennent plus poreuses au fil des besoins, des rencontres et des passions partagées. Entre ancrage local fort, diversité des outils et soif d’expérimenter, la région donne à voir, loin des clichés alpins, un laboratoire d’initiatives qui n’a pas peur de changer de braquet… ni de partager généreusement ses recettes avec tous ceux qui le souhaitent.
